(1/2) Maubeuge, précurseure dans le domaine de l'aviation en France ? La réponse est oui !

Publié : 30 mai 2018 à 8h34 par Thibaut Paquit (avec Philippe Nicodème)

CANAL FM
Crédit : Archives Philippe Nicodème

Comment la Cité du Clair de Lune est-elle devenue précurseure dans le domaine de l'aviation de guerre ? Philippe Nicodème, Historien, se penche sur la question depuis plus de 15 ans maintenant. Ses recherches dans ce domaine ont été fascinantes, "Si on regarde des livres Américains, Anglais, Allemands où l'on parle de l'aviation, systématiquement, on y évoque Maubeuge dans ce domaine. C'est ici que tout a commencé !" explique-t-il. Pourquoi Maubeuge ? Il faut remonter pour cela à novembre 1793 : à l'époque, nous raconte Philippe Nicodème, les premiers envols de ballons gonflés d’air chaud ou d’hydrogène, suscitent un enthousiasme extraordinaire en France et dans toute l’Europe. Dans les années qui suivent, tout ce qui peut être fait avec des aérostats est entrepris, ascensions scientifiques, vols de longue durée, traversées de la Manche, etc.

Des applications militaires sont imaginées, elles deviennent réalité en 1794, avec la création d’une compagnie d’aérostiers militaires, ancêtre de toutes les armées de l’air. L’aventure dure sept ans. La République est en guerre, les Autrichiens assiègent Maubeuge. En mai 1794, les aérostiers, commandés par Jean-Marie Coutelle, s’installent dans le jardin du collège, fabriquent de l’hydrogène et gonflent leur ballon, l’Entreprenant.

La première ascension a lieu le 14 prairial an II du calendrier révolutionnaire (2 juin 1794), à 18h30. Le ballon, retenu au bout d’une corde, monte à plus de 300 mètres, avec deux hommes à bord. Des signaux permettent aux observateurs de communiquer avec le sol. Très bon engin d’observation, le ballon joue aussi un rôle psychologique, donnant confiance aux assiégés et démoralisant leurs adversaires.

Le 22 juin, l’Entreprenant est transporté de Maubeuge à Charleroi en une journée, un tour de force car le ballon gonflé est maintenu près du sol par les aérostiers en marche. Quelques jours plus tard, il participe à la bataille de Fleurus. Ensuite les aérostiers accompagnent les armées de la République qui s’avancent en Allemagne, d’autres ballons sont mis en service, certains transitent par Maubeuge où le four construit dans les jardins du collège permet de les gonfler.

Maubeuge garde le souvenir de Coutelle, le collège où il a utilisé l’Entreprenant, porte son nom. Mais pour une raison inconnue, Jean-Marie Joseph Coutelle est devenu Ernest Coutelle.

Des ballons aux dirigeables

Au 19e siècle, les ballons sont utilisés pour des observations scientifiques ou des vols sportifs mais il leur manque un moteur pour se diriger. Des essais sont effectués avec des moteurs électriques ou à vapeur. En 1884, le dirigeable La France, propulsé par un moteur électrique, vole avec succès. Mais il a une autonomie limitée, le moteur est trop lourd. La solution apparaît avec les premiers moteurs à essence, assez légers pour équiper des ballons. Les premiers vrais dirigeables prennent l’air, ils sont d’abord civils, puis très rapidement militaires (...)

Le centre d’aérostation

En France, des centres d’aérostation sont construits le long de la frontière de l’Est, à Verdun, Toul, Epinal, Belfort. La décision de construire un hangar à dirigeables à Maubeuge est prise en 1910. Les travaux commencent en 1911. La charpente est fabriquée par la Société des Ateliers de Constructions d’Hautmont, qui devient plus tard Schwartz Hautmont, le montage est assuré par la société Devanlay, d’Héricourt (Haute-Saône).

En 1913 le hangar est agrandi pour accueillir des dirigeables plus grands qui sont à l’étude. L’allongement est réalisé en reculant le pignon arrière et en intercalant plusieurs travées. La longueur est portée à 151 m.

Les travaux se poursuivent jusqu'en 1914, avec la construction des installations annexes destinées à fabriquer de l’hydrogène et à assurer l’entretien des dirigeables. En cas de guerre, le centre d’aérostation est autonome. Le Dupuy-de-Lôme… et les autres Fin 1912, le hangar accueille le Dupuy-de-Lôme. Rapidement adopté par la population, il devient « le » dirigeable de Maubeuge et la presse locale relate chacune de ses sorties.

Long de 89 m, propulsé par deux moteurs de 120 CV, le Dupuy-de-Lôme vole à 55 km/h. Il porte le nom de l’ingénieur qui a construit l’un des premiers dirigeables, en 1871. Début 1914, il est modifié, la nacelle est raccourcie pour améliore l’aérodynamique.

Deux autres dirigeables viennent également à Maubeuge. Le Fleurus, du 6 octobre au 27 novembre 1913, en attendant que l’agrandissement du hangar de Verdun, où il est basé, soit terminé. Et le Montgolfier, qui remplace le Dupuy-de-Lôme lorsque celui-ci est modernisé, du 20 février au 14 avril 1914.

Août 1914

(...) Les Allemands approchent, les dirigeables de Maubeuge effectuent trois reconnaissances de nuit, bombardant au passage des bivouacs allemands. Les équipages sont aguerris mais le repérage est difficile. Au retour de sa seconde mission, le Montgolfier se perd dans le brouillard. Il rentre finalement par Beaumont. Les troupes françaises n'ont pas été prévenues et elles redoutent une attaque de zeppelin. Elles ouvrent le feu, le dirigeable se pose en catastrophe à Colleret. Démonté et évacué, il reprend du service à Issy-les-Moulineaux.

(...) A Maubeuge il ne reste que des ballons captifs, anciens et en mauvais état. Quelques tentatives sont faites pour les utiliser, sans grand résultat.

Les zeppelins à Maubeuge

Les Allemands occupent Maubeuge et prennent possession du centre d'aérostation. Ils agrandissent le hangar d'environ 20 mètres pendant l’hiver 1914-1915, puis une nouvelle fois en 1916. Le hangar atteint finalement 226 m de long. Un premier zeppelin arrive en mars 1915, le Z XII. Il effectue quelques missions depuis Maubeuge, dont un bombardement de Calais dans la nuit du 17 au 18 mars. Durant cette opération, le Z XII utilise pour la première fois une nacelle d’observation. Celle-ci est descendue au bout d’un câble, tandis que le dirigeable reste au-dessus des nuages. Depuis la nacelle, un observateur guide le dirigeable par téléphone et déclenche le bombardement.

En juillet 1915, le Z XII part pour le front de l’Est. Trois autres dirigeables, les LZ 74, LZ 79 et LZ 88, viennent à Maubeuge. Ils ne font que de courts séjours, le centre d’aérostation est fréquemment survolé par des avions alliés et il est surveillé par des réseaux d’espionnage. Le 21 février 1916, le LZ 88 décolle de Maubeuge, pour attaquer, avec 3 autres dirigeables partis de Namur et Mannheim, le réseau ferré desservant Verdun. Les zeppelins sont guidés par radio mais les Français ont un réseau d’écoute très efficace, et suivent les assaillants durant tout leur vol. C’est le début de la guerre électronique. Le raid est un échec total, le LZ 77 est abattu en flammes, le LZ 95 est détruit à l’atterrissage, quant au LZ 88, il revient à Maubeuge et largue ses bombes dans la campagne avant de se poser.

En 1918, le hangar est utilisé pour l’assemblage d’avions. Amenés d’Allemagne en caisse, les appareils sont montés et essayés à Maubeuge avant d’être convoyés vers les terrains d’aviation du front.

Le retour des zeppelins

En 1920, l’Allemagne livre deux zeppelins à la France, au titre de dommages de guerre. Le L 72, parti la veille de Friedrichshafen, sur les bords du lac de Constance, arrive à Maubeuge le 11 juillet 1920, car le hangar qui lui est destiné, à Cuers, n’est pas terminé. Il reste un mois à Maubeuge, la population vient le voir pendant une « journée portes ouvertes ».

Plus d'éléments dans le livre DANS LE CIEL DE MAUBEUGE 1794-1920  : L’EXTRAORDINAIRE AVENTURE DES BALLONS ET DES DIRIGEABLES par Jack Guillemin & Philippe Nicodème